PRESSE 2017 http://www.liberation.fr/france/2017/05/01/a-frejus-l-appetit-de-beton-de-david-rachline_1566607 Le sénateur FN et maire de Fréjus, qui entretient des relations privilégiées avec les barons du BTP local, poursuit une politique d’aménagement urbain contestée, notamment le long du littoral.
Nous sommes le 22 mars, face à la puissante Association des maires de France (AMF). David Rachline débite les propositions du Front national pour l’échelon municipal. Le directeur de campagne de Marine Le Pen, 29 ans, sénateur et maire de Fréjus, y représente sa candidate. Les yeux rivés sur son texte, il insiste sur l’importance des liens entre le secteur de la construction et les municipalités, qu’il voit comme «les premiers partenaires des entreprises du BTP».Et poursuit :«Grâce à de nouvelles règles de la commande publique, favorisant la proximité, elles pourront être les partenaires privilégiés pour les entreprises de ces secteurs.» A Fréjus, David Rachline n’a en réalité pas attendu une éventuelle accession au pouvoir de Marine Le Pen et un changement de législation pour appliquer sa conception des marchés de travaux publics. Elu maire de Fréjus, la plus grosse ville gérée par le FN, puis sénateur en 2014, David Rachline comptait faire de sa mairie une vitrine de la gestion Front national. C’est même dans cette ville que Marine Le Pen s’est lancée pour l’élection présidentielle, en septembre. Depuis trois ans, le maire a su faire parler de lui. Il a notamment coupé des subventions publiques à des associations qui lui étaient hostiles, s’est lancé dans une cabale juridique et politique contre une mosquée et a été accusé, par ses opposants, de clientélisme, pour des contrats passés avec des prestataires dans le secteur de l’événementiel, proches de l’extrême droite. Liens perpétuésUn volet moins connu, cependant, pourrait l’exposer davantage encore à la critique : sa gestion des affaires immobilières. Un domaine où David Rachline a - discrètement - perpétué les liens de son prédécesseur de droite, Elie Brun, avec les barons locaux du BTP. L’élu FN a ainsi conservé certaines pratiques contestées en matière d’aménagement urbain, s’échinant à faire passer de grands projets, principalement le long du littoral où chaque mètre carré constructible vaut de l’or. Cette continuité de l’action de l’ancien maire, plombé par une affaire de corruption, a débuté dans l’entre-deux-tours des élections municipales. A l’époque, la liste menée par David Rachline emporte 40,3 % des suffrages, tandis que la candidature de Philippe Mougin, soutenu par l’UMP, obtient 18,8 %, et celle d’Elie Brun, se présentant avec une étiquette de droite mais sans l’appui du parti, plafonne à 17,6 %. Le maire sortant, bien que troisième, choisit de maintenir sa candidature, offrant de fait la victoire au FN. Rachline conservera ensuite l’ex-femme d’Elie Brun, Jacqueline Marco, à la direction de l’aménagement et de l’urbanisme, tandis que Marcel Sabbah, un autre proche du sortant, hérite des associations. Trois ans plus tard, la chambre régionale des comptes (CRC) étrille les relations entre le secteur du BTP et la communauté d’agglomération, dont Fréjus est la ville principale. Si le rapport des magistrats financiers, publié en février, ne concerne pas directement Rachline - la responsabilité revenant à son président, Georges Ginesta, maire LR de Saint-Raphaël -, il met en lumière les relations incestueuses entre les responsables politiques et les patrons varois. «Les sociétés locales disposent d’un monopole de fait, alors que la situation économique de ce segment de marché n’est pas monopolistique», relève en langage policé la CRC. Refus de la mairieA Fréjus, la municipalité se fait discrète sur le sujet. Contactée, la ville refuse de communiquer le récapitulatif des attributions de marchés publics de l’année 2016, renvoyant à la commission d’accès aux documents administratifs. Finalement consulté par Libération, ce document révèle que la totalité des opérations supérieures à 90 000 euros ont été attribuées par la ville à des sociétés fréjusiennes. Un constat presque équivalent à 2015, où dix des douze opérations supérieures à 207 000 euros ont été confiées à des entreprises de la ville, selon le site de la municipalité. Parmi elles, on retrouve notamment Sodobat, dirigée par Philippe Donat, qui vient tout juste de lâcher la présidence de la Fédération du BTP du Var. C’est sa société qui a participé à la réalisation de l’aménagement du Grand Capitou, une zone stratégique au nord de la ville, principalement dédiée aux entreprises du secteur et dont les différents pôles ouvrent par étapes successives depuis 2008. Dans cette zone s’est également installée l’entreprise RBTP, dont le patron, Alexandre Barbero, est une figure bien connue à Fréjus. Il dirige notamment l’Etoile Football Club Fréjus-Saint-Raphaël. Selon les magistrats financiers, la ville de Fréjus, alors dirigée par Elie Brun, aurait accordé un quasi-monopole sur la zone à Barbero et Donat, en évitant de passer par un appel d’offres, à l’aide d’un découpage factice des pôles du Grand Capitou. A son arrivée à la tête de la ville, David Rachline n’a pas remis en cause cette situation, signant les derniers permis de construire relatifs au projet «Ecopole» mené par Barbero, qui prévoit l’installation de plateformes d’activités potentiellement polluantes. Des opposants se sont constitués en collectif pour alerter sur les risques environnementaux et le danger pour les habitants du quartier voisin. Dans sa réponse, en mars, le maire de Fréjus s’abrite derrière l’Etat : «Aucun recours n’a été exercé, tant des tiers que du préfet du Var.» David Rachline a également montré de l’appétit pour la promotion immobilière le long du littoral. Dans un premier temps, le maire a voulu s’attaquer à la place de la République et ses terrains de pétanque pour y construire un parking. Et, pourquoi pas, «quelques logements de qualité en front de mer», ainsi qu’«un hôtel afin de dynamiser l’attractivité touristique», annonçait-on lors d’un conseil municipal. Face au mécontentement, le projet est abandonné, avant de resurgir récemment sur une place du quartier de Saint-Aygulf, générant un nouveau mouvement de contestation. «Depuis le début du mandat, la ville a vendu pour 36 millions d’euros de biens communaux», détaille Jean-Paul Radigois, président du Comité de défense de Fréjus-plage, engagé dans un bras de fer avec la municipalité contre le «bétonnage» de la côte. «Elie Brun avait commencé à vendre les beaux terrains, David Rachline continue cette politique», commente de son côté Philippe Michel-Kleisbauer, directeur de cabinet de l’ancien maire pendant dix ans, avant de devenir son opposant politique à partir de 2007, aujourd’hui engagé avec En marche. Mais le véritable jackpot pour la mairie pourrait venir du projet de la «base nature», un terrain préservé, situé à quelques mètres de la plage et cédé par l’Etat à la ville en 1995. A l’été 2015, David Rachline annonce ses intentions : «J’y verrai bien une boîte de nuit avec un immense parking.» Avant de tenter de rassurer les habitants en parlant d’une école nautique. Face au flou entretenu par la municipalité, les opposants s’inquiètent. Procédure simplifiéePour permettre la future vente de ces 32 000 mètres carrés, le maire a engagé une procédure de modification du plan local d’urbanisme (PLU) en avril 2015. En fonction du projet retenu, cette transaction pourrait rapporter au moins 100 millions d’euros à la municipalité. Le sous-préfet de Draguignan s’est rapidement alarmé du choix de cette procédure simplifiée pour un bien qu’il qualifie comme «l’une des réserves foncières les plus stratégiques dont dispose la commune». Pour lui, cette évolution doit passer par la révision générale du PLU, plus contraignante. Même avis du côté de l’enquêteur public, qui a rendu un avis négatif sur cette procédure allégée. Malgré cela, le maire poursuit le processus. Contacté, David Rachline n’a pas répondu à nos sollicitations. Selon nos informations, le sous-préfet de Draguignan vient de déférer la délibération devant le tribunal administratif, mettant de fait un coup d’arrêt aux grandes ambitions immobilières du maire de Fréjus. Ismaël Halissat envoyé spécial à Fréjus. Photo Diego Ravier |